Laure Forêt : fragments de la dérive
La vie n’est pas toujours drôle, elle est même parfois féroce et on y trébuche de tout son poids. C’est pourquoi Laure Foret l’épure par une pratique de l’aporie au sein de ses approches (dessins, collages, textiles, animation). Toute contextualisation et tous éléments diégétiques sont mis en exil comme sont supprimés les repères de l’identité et du corps dont l’artiste ne retient que quelques éléments facteurs ou fragments du désir en ses fouilles dans le « moi-peau » cher à Didier Anzieu. L’artiste ne se retire donc pas du monde mais, plutôt que de survivre à ses ruines et son soleil absent, elle dessine le plaisir qui captive (et qui tue ?) deux corps le plus longtemps possible.
En un fourragement de flancs, une danse des ventres l’artiste ne dévoile pas le sexe. Reste le suspens de quelques signes épars de l’assentiment dont le point de densité le plus obscur (ou lumineux), le centre du secret demeure caché. Laure Forêt — au-delà de toute notion de pudeur ou d’impudeur — propose un ballet suggestif en quelques courbes et quelques lignes de rouge qui surplombent le noir du graphite. Le pouvoir de séduction n’en est que plus fort.
En dépit du titre Mon chéri, le livre s’extrait de tout récit biographique pour offrir suggestions et fantasmagories à caractère général. Un bras ou une cuisse s’allonge dans la maîtrise comme dans l’abandon à ce qui peut advenir. C’est lent mais inexorable, rien ne peut arrêter le mouvement — que l’artiste fixe — dans l’énorme silence de la page blanche. Elle devient le fond implicite de deux respirations qui hors champs se confondent. Tout s’arrête néanmoins à des orées de peau, dans des jeux de membre où — initiatrice et protectrice — la femme suggère l’intimité portée en des territoires de douceur extrême et insoupçonnés. Ils ne sont plus seulement anatomiques mais deviennent le symbole de flux là où les traits nagent comme l’âme dans le crème de chaque page.
© Jean-Paul Gavard-Perret, Mars 2014
Le littéraire