Celle qui va à son atelier en bateau : entretien avec Laure Forêt
Laure Forêt, l’auteure de Mon chéri, ne tranche pas dans ses désirs. Ne se voulant ni sainte ni démone, elle se revendique en tant qu’amante et artiste dans une suite d’étreintes allusives. L’existence devient immersion dans la peau qui épouse la chair là où le simple trait a pris le relais du sexe afin de graver une prière implicite : que rien ne vienne disjoindre ceux que le désir a choisis. Tous les mots sont tombés en chemin comme une petite monnaie. Le souffle du trait, en épure significative, signale des gestes symboliques. La femme s’y fait première au cœur de l’instant, consciente d’éprouver la jubilation du désir et la plénitude de l’accomplissement. Elle est celle qui demeure sans jamais changer. L’étreinte la noue à elle-même : hors d’elle rien ne serait. Elle la clame dans un poème optique et muet qui ne perd jamais l’unité et l’excès.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Quand j’entends mon ami prendre sa douche, je me lève.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’avais l’idée fixe de faire les Beaux-Arts, allez savoir pourquoi j’avais une envie si précise. Mais j’ai réalisé ce projet sans vraiment savoir où cela me mènerait, et depuis je me laisse porter par les vagues, j’ai la chance de vivre mes rêves d’enfant.
A quoi avez-vous renoncé ?
A la “vie tranquille” que mon père me souhaitait : être prof, ingénieur EDF, ou infirmière. En même temps, je m’évanouis à la vue du sang.
D’où venez-vous ?
D’un lieu perdu au milieu de nulle part en Mayenne, à la campagne.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’amour de la terre et du travail, mais aussi, une peau atypique, quelques névroses, et tout ce qui nourrit mon travail aujourd’hui.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Un homme, rien de plus banal.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Une obligation à moi-même, un dessin par jour, même si ce n’est pas toujours un plaisir immédiat. Mais j'aime voir les carnets se remplir et emplir les étagères de mon atelier. Sinon, un chocolat fourré à la pistache.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je vais à mon atelier en bateau.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et de sa soeur la duchesse de Villars.
Quelle fut votre première lecture ?
Peut-être pas la première, mais la première qui m’a marquée : “Le Parfum” de Patrick Süskind.
Comment pourriez-vous définir votre travail sur le corps ?
« Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau.» Paul Valéry, “L’idée fixe”.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Je préfère écouter la radio. J’aime entendre les gens parler.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“L’exil et Le Royaume” d’Albert Camus ou “La grossesse” de Yoko Ogawa. J’hésite.
Quel film vous fait pleurer ?
“La peur : Petit chasseur” de Laurent Achard.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi, a priori, mais je mets du temps à me reconnaître.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Plusieurs personnes, mais il m’est plus aisé d’écrire que de parler.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Peut-être un voyage en Transsibérien.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Antonin Artaud, Sylvia Bächli, Louise Bourgeois, Yoko Ogawa, Françoise Petrovitch, Kumi Oguro, Berlinde De Bruyckere…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un livre que je pourrais aimer, sinon j’adore les fleurs et les boucles d’oreille.
Que défendez-vous ?
Le droit de rester toute la journée au lit.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
« Il est plus doux de donner que de recevoir. » Epicure.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Je me posais justement la question.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quel est mon plat favori?
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com
Mars 2014